Le 13 novembre a lieu la VIème journée mondiale pour les pauvres instituée par le Pape François. Comment parler de la pauvreté ? Peut-on légitimement écrire à son sujet ? Plus fondamentalement, peut-on s’y intéresser, derrière un écran ? N’y a-t-il pas une certaine hypocrisie à soutenir un combat assis dans son canapé, là où celui qui nous en parle nous exhortait à en sortir ? Autant de questions où se mélangent agacement face à la trivialité de ces considérations et impuissance face à leur réalité. Ce dualisme peu avenant, Jésus semble le reconnaître lui-même « des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14, 7).
Et pourtant, c’est par la pauvreté que le Christ nous rejoint. « Jésus-Christ […] s’est fait pauvre à cause de vous » (cf. 2 Co 8, 9) ouvre le Pape François. Mais plutôt que de chercher à la théoriser, partons à la rencontre des prêtres en mission à Cuba, dans la paroisse de Placetas. Avec don Louis de Berny, prêtre depuis deux ans dans cette île des Caraïbes.
Première réalité, l’universalité de la sollicitude pour les pauvres. À Cuba, la pauvreté fait partie du quotidien. En voici un témoignage :
« Il y a maintenant un mois, après le passage du cyclone dans l’ouest du pays, nous avons subi pendant 3 jours une coupure nationale de courant. Coupure qui s’est mutée en crise de l’eau, la plupart utilisant des turbines électriques. »
Qu’en est-il chez nous ? La guerre en Ukraine et la pandémie ont été révélateur de l’état de la question. La pauvreté s’est faite encore plus présente. Et si, par exemple, de beaux gestes d’accueil envers les réfugiés ont été effectué, la question de la sécurité a été elle aussi remise sur le devant de la scène, pour le meilleur et pour le pire. Contre qui et contre quoi les défendre ? Et à quel prix ? N’existe-t-il pas des « pauvres de la porte d’à côté » pour reprendre le langage du pape François, que les questions de sécurité négligent ? La question n’est pas naïve. Il y a un véritable discernement à effectuer pour intégrer « l’option préférentielle pour les pauvres ». Elle n’est pas une chimère.
Là aussi, Cuba peut être pour nous source d’exemple, comme le décrit don Louis au lendemain de l’ouragan.
« Il est marquant de voir qu’alors que le temps semble suspendu, la vie sociale se re-densifie. Ceux qui n’avaient plus accès à l’eau ont pu profiter du puit des voisins, les personnes âgées comme les malades furent davantage visités… C’est tout un peuple qui s’est mis généreusement au service du prochain : les crises sont de bons révélateurs des richesses sociales et de l’authenticité de la foi. »
Seconde réalité à prendre en compte : pour parler de la pauvreté, il faut déjà la connaître. Et celle-ci ne se cantonne pas à ce qu’en disent les médias. Qui dit pauvreté dit petitesse. Qui dit petitesse dit caché. Là aussi Cuba en est un exemple criant. Qui aujourd’hui se soucie de cette petite île des Caraïbes où, cela fait plus de 60 ans que le peuple souffre d’un système cynique et à bout de souffle ? Quelques faits parmi tant d’autre : « Nous n’avons plus de combustible. Le courant électrique est coupé désormais entre 6 et 12 heures par jour. Il y a chaque jour moins de nourriture, manger un œuf est devenu un véritable luxe. Les rationnements touchent les produits de première nécessité. À partir du 1er novembre, nous devons diviser toutes les petites hosties, la conférence des évêques nous ayant averti qu’avec la pénurie de farine nous n’allions pas tenir jusqu’à Noël… Qui s’en préoccupe ? »
Troisième réalité face à la pauvreté, l’action. Face à la pauvreté, on l’a dit, les discours ne suffisent pas s’ils ne suscitent pas la prise de décision concrète. Que peut-on faire aujourd’hui ?
Don Louis nous le rappelle, cette journée mondiale pour les pauvres est pour nous l’occasion de nous replonger dans ce mystère : « Il y a dans ces journées un risque « d’à-coup » aussi éphémère qu’improductif : les grandes résolutions du 1er de l’an, la cure de diète brûle graisse, les innombrables conférences pour le climat, voire les expériences spirituelles fortes à l’occasion d’un pèlerinage. Tout cela n’a de sens qu’intégré dans le temps comme dans un style de vie. La sollicitude pour les pauvres — la solidarité — est une vertu, elle est donc par nature étrangère à l’éphémère, à « l’à-coup ». La vertu est en effet une disposition constante, toujours plus naturelle et réjouissante, qui nous rend meilleur en nous conformant à l’Évangile. Bien vécue, une simple journée peut en revanche nous réveiller de notre torpeur, une « saine provocation » pour réorienter notre cœur en nous offrant l’occasion d’un sérieux examen de conscience quant à notre compassion pour les plus pauvres d’entre nos frères (Mt 25,40). »