Spiritualité eucharistique : renouveler notre esprit d’adoration

Il n’est pas inutile de revenir à la source du Magistère pour puiser dans ses textes les plus récents un esprit d’adoration renouvelé, et aussi quelques idées claires…

Le tabernacle, « cœur vivant de nos églises »

À une époque où la contestation était de mise, le pape Paul VI, navré par les atteintes portées, jusque dans l’Église, aux vérités essentielles de la foi, avait dû les proclamer solennellement dans sa Profession de Foi catholique de 1968. Il y rappelait en particulier que « l’unique et indivisible existence du Seigneur glorieux au Ciel est rendue présente par le sacrement de l’Eucharistie dans les multiples lieux de la terre où la Messe est célébrée. Et elle demeure présente, après le Sacrifice, dans le Saint-Sacrement, qui est, au tabernacle, le cœur vivant de chacune de nos églises. »1

Il avait auparavant affirmé que « l’Église catholique fait profession de rendre ce culte d’adoration au Sacrement de l’Eucharistie non seulement durant la Messe mais aussi en dehors de sa célébration. »2 Et de redire le devoir de tous les fidèles de « rendre visite » au Saint-Sacrement, « qui doit être conservé en un endroit très digne des églises, avec le plus d’honneur possible, selon les lois liturgiques », « car la visite est une marque de gratitude, un geste d’amour et un devoir de reconnaissance envers le Christ notre Seigneur présent en ce lieu. »3

Près de quarante ans plus tard, le pape Jean-Paul II devait encore l’affirmer : « La présence de Jésus dans le tabernacle doit constituer comme un pôle d’attraction pour un nombre toujours plus grand d’âmes pleines d’amour pour Lui et capables de rester longuement à écouter sa voix et à entendre presque les battements de son cœur. »4

Retenons déjà ce premier enseignement : déposé au tabernacle, le Saint-Sacrement est « le cœur vivant de chacune de nos églises », puisque « le Seigneur glorieux au Ciel » y demeure présent, et c’est donc vers ce lieu que nous devons nous rendre avant toute chose, pour visiter le Seigneur avec amour.

Tabernacle et ostensoir, contemplation et mission

Par ailleurs, on a assisté, spécialement depuis ces dernières décennies, à un regain de l’exposition et de l’adoration du Saint-Sacrement, que l’Église n’a de cesse de promouvoir. On peut y voir sans doute une réponse spontanée de la foi à la négligence liturgique et eucharistique qui s’est installée en maints endroits depuis quarante ans, ou encore la manifestation d’un renouveau de vie intérieure dans nos « chrétientés » sinistrées ou tentées de réduire le « message » chrétien à un activisme humanitaire et social.

Cependant, au-delà de ces hypothèses, l’Église nous enseigne elle-même le sens de l’adoration du Saint-Sacrement qu’elle promeut d’une manière adaptée à notre temps.

À l’époque précédente, en effet, l’exposition du Saint-Sacrement était un acte rare, toujours public et solennel. Il s’agissait surtout de manifester avec pompe, dans l’ostensoir, la vérité de la Présence réelle, en particulier au regard de ceux qui la contestaient (les Réformés, « contre » lesquels on multipliait les processions eucharistiques) ou refusaient tout simplement le règne du Christ (que l’on pense à l’Adoration perpétuelle instaurée à Montmartre en réparation de « tant de péchés commis contre Dieu », et comme un « paratonnerre sacré » contre la punition méritée par la France « apostate »5…). À la même époque, la relation intime et cordiale avec l’Eucharistie était plutôt le fait de la « visite au Saint-Sacrement », devant le tabernacle.

Or, dans son enseignement actuel sur l’adoration eucharistique, l’Église « réunifie » en quelque sorte le tabernacle et l’ostensoir, c’est-à-dire les deux dimensions de la prière : l’intériorité et le rayonnement missionnaire, social, de l’Eucharistie.

Retenons ce deuxième enseignement, que nous allons approfondir : l’adoration eucharistique est à la fois contemplative et missionnaire, la contemplation purifiant la mission de la tentation activiste, et l’esprit missionnaire gardant la contemplation de se corrompre en individualisme pieux.

L’adoration est missionnaire… par intériorité

En ce sens, une affirmation domine largement la pensée de l’Église sur l’adoration eucharistique : si l’adoration est missionnaire, c’est en tant qu’elle ramène chaque fidèle, par l’intérieur, à la source même de la mission de l’Église qui est le Sacrifice de l’Eucharistie : « Tout engagement vers la sainteté, toute action visant à l’accomplissement de la mission de l’Église, toute mise en œuvre de plans pastoraux, doit puiser dans le mystère eucharistique la force nécessaire, et s’orienter vers lui comme vers le sommet. »6

Si l’Eucharistie est missionnaire, ce n’est pas à la manière d’un moyen utile et efficace (ce serait instrumentaliser fâcheusement la Présence de Jésus), mais en tant que « source et sommet »7 de la mission de l’Église.

Ainsi, par l’adoration eucharistique, chacun est invité à rejoindre la Source vive, qui jaillit toujours de la Présence réelle objective de Jésus, mais ne peut s’écouler que dans l’intériorité de l’âme qui croit et qui aime. Seule une telle âme, et non une âme indifférente, peut « capter » la Source vive et se laisser baigner par elle.

Autrement dit, l’exposition du Saint-Sacrement n’est pas un acte missionnaire en soi, qui toucherait les cœurs sans préparation intérieure de leur part, comme une enseigne lumineuse attirerait spontanément sur elle le regard des badauds. Si la grâce de Dieu peut toucher tout homme, même indifférent, la grâce particulière des sacrements ne porte du fruit que dans les âmes préparées par la foi et la charité. C’est pourquoi l’Église, dès les origines, a toujours réservé aux « saints » – c’est-à-dire aux baptisés – l’accès aux « saints mystères ».

Ainsi – ce sera notre troisième enseignement – la contemplation et l’intériorité précédent la mission. Le pape Benoît XVI l’affirme clairement : « C’est bien par cet acte personnel de rencontre avec le Seigneur que mûrit ensuite la mission sociale qui est renfermée dans l’Eucharistie ».8

Adorer « en esprit » et « en vérité »

L’exposition du Saint-Sacrement devient donc missionnaire dans la mesure où elle suscite des « adorateurs en esprit », désireux de capter la Source par une vraie démarche d’intériorité et de demeurer longuement et fidèlement à l’endroit où elle jaillit.

Et elle se révèle effectivement missionnaire lorsque de tels adorateurs adorent non plus seulement « en esprit », mais encore « en vérité », c’est-à-dire en faisant de leur vie un témoignage véridique, authentique, de ce qu’ils ont adoré. Ainsi s’exprime encore Benoît XVI : « La mission première et fondamentale qui nous vient des saints Mystères que nous célébrons est de rendre témoignage par notre vie. (…) En effet, nous ne pouvons garder pour nous l’amour que nous célébrons dans ce Sacrement. Il demande, de par sa nature, à être communiqué à tous. Ce dont le monde a besoin, c’est de l’amour de Dieu, c’est de rencontrer le Christ et de croire en Lui. »9

Nous retiendrons donc un dernier enseignement : notre adoration eucharistique sera missionnaire en proportion de la cohérence de notre vie avec l’Amour de Dieu que nous aurons contemplé dans le Corps du Christ livré pour nous.

En définitive, « si, à notre époque, le christianisme doit se distinguer surtout par “l’art de la prière”, comment ne pas ressentir le besoin renouvelé de demeurer longuement en conversation spirituelle, en adoration silencieuse, en attitude d’amour, devant le Christ présent dans le Saint-Sacrement ? »10 Non pas pour nous-mêmes, ni pour satisfaire notre piété ou notre besoin de tranquillité, mais parce que « l’Église et le monde ont un grand besoin de culte eucharistique »11, « besoin de l’amour de Dieu, besoin de rencontrer le Christ et de croire en Lui. »

1 PAUL VI, Profession de foi catholique, 1968.

2 ID., Encyclique « Mysterium Fidei », 1965.

3 Ibid.

4 JEAN-PAUL II, Lettre apostolique « Mane nobiscum, Domine », 2004, n.18.

5 Cf. Lettre du Cardinal GUIBERT, archevêque de Paris, aux initiateurs du Vœu national, le 18 janvier 1872.

6 ID., Encyclique « Ecclesia de Eucharistia », 2003, n. 60.

7 L’expression est du concile Vatican II, dans sa Constitution dogmatique sur l’Église (LG 11).

8 BENOIT XVI, Exhortation apostolique « Sacramentum Caritatis », 2007, n. 66. 9 Ibid., nn. 85-86.

10 JEAN-PAUL II, Encyclique « Ecclesia de Eucharistia », 2003, n. 25.

11 ID., Lettre « Dominicæ cenæ », 1980.

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Biographie

Jean-François Guérin

Jean-François Guérin naquit à Loches au cœur de la Touraine le 25 juillet 1929 d’Albert Guérin et de Camille Linard, charcutiers dans cette ville ; il fut baptisé le 9 mars 1930 dans la collégiale Saint-Ours sous le prénom de Jean. Ses deux parents sont originaires d’Artannes-sur-Indre où il suivit sa première scolarité, dans une famille qui n’était pas particulièrement marquée par la foi.

Installé chez sa mère à Paris, il s’ouvrit de sa vocation à un prêtre de Versailles. C’est pourquoi, contre l’avis de sa famille, il entra au séminaire de Versailles, en 1949, à vingt ans. Les premières années de sa formation furant vraiment fondatrices pour lui, marquées par la forte spiritualité sacerdotale enseignée par les formateurs sulpiciens. Ces années furent coupées par son temps de service militaire en Tunisie et marquées par le décès de son père. Premier tournant dans son itinéraire : il décida de quitter Versailles pour revenir à Tours, puis il intégra le Séminaire français de Rome et, le 29 juin 1955, il fut ordonné prêtre en la cathédrale Saint-Gatien par Mgr Gaillard.

D’abord vicaire à la cathédrale de Tours, il fut nommé aumônier des lycées Descartes, Balzac et Grandmont à Tours où sa santé souffre un peu de l’intensité de son engagement auprès des jeunes. Souvent il les emmena à Fontgombault, une abbaye bénédictine qui eut une importance centrale dans sa vie et son sacerdoce : il en devint oblat en 1961. Quittant Tours, il fut envoyé à Paris pour des études de droit canonique, qu’il commença en 1965.  Pendant ces études, il était aussi confesseur à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, où il fut inspiré par les intuitions ecclésiales et missionnaires de Monseigneur Charles, recteur de la Basilique, avec lequel se créa une amitié. Les études terminées, il devint délégué général de l’Œuvre d’Orient en 1968 et garda cette charge, qui consistait à recueillir des fonds pour aider les écoles, dispensaires et œuvres caritatives dans les paroisses de toute la France, jusqu’en 1975.

À Paris, son ministère se déployait entre l’œuvre d’Orient, la mission de chapelain au Sacré Cœur et un ministère qui se dessina peu à peu auprès d’étudiants, hommes et femmes, qui le rejoignirent bientôt pour une heure d’adoration silencieuse mensuelle, à Montmartre. De ce silence, naquit l’idée d’une messe hebdomadaire en 1968. Elle est célébrée à la chapelle du Bon Secours, rue Notre-Dame-des-Champs, chapelle toute proche des bureaux de l’Œuvre d’Orient. L’abbé Guérin entendait donner à ces jeunes gens une solide formation centrée sur la vie intérieure, la vie sacramentelle, sur le discernement des vocations, mariage, sacerdoce, vie religieuse. Son action apostolique auprès de ce groupe comprendra aussi des camps – un mélange entre retraite et vacances, ce qui donna naissance aux futurs « Routes Saint-Martin ». Mais dans le temps de la réforme liturgique, il leur transmit aussi sa docilité envers les décisions du Concile et du Pape, face à certains qui ne veulent rien entendre sur le nouveau missel promulgué par le Pape Paul VI.

Proche des moines bénédictins de Fontgombault et des Sœurs Servantes des Pauvres, l’abbé Guérin accompagna des jeunes vers des vocations religieuses, contemplatives et apostoliques. Mais, plusieurs jeunes gens lui partagèrent leur désir de devenir prêtres diocésains. En février 1976, le cardinal Siri, archevêque de Gênes et Dom Jean Roy, Père Abbé de Fontgombault, se rencontrèrent à Rome où ce dernier demanda au cardinal s’il est possible d’accueillir des amis français à Gênes. L’accord fut immédiat : les études au séminaire seraient gratuites et un couvent capucin situé à dix-sept kilomètres du centre-ville serait mis à leur disposition. C’est alors que le 1er novembre 1976, commença la Communauté Saint-Martin par un cours intensif en italien ; suivirent les travaux à entreprendre au couvent de Voltri qui est en très mauvais état. Les années italiennes furent celles de la fondation, avec l’appui constant du cardinal Giuseppe Siri, qui, à sa démission, nomma l’abbé Guérin chanoine d’honneur de sa cathédrale.

L’année 1993 fut celui du retour en France, pour les membres de la Communauté. Aidé par les premiers membres, l’abbé Guérin guida cette installation à Candé-sur-Beuvron, dans le diocèse de Blois. Ce furent des années plus difficiles, marquées par différents problèmes de santé. L’abbé Guérin fut de plus en plus secondé. En février 2004, il présenta sa démission. Demeuré à Candé, il fut rappelé à Dieu le 21 mai 2005. Après ses obsèques à la cathédrale Saint-Louis de Blois, il fut inhumé au cimetière d’Artannes-sur-Indre, son village natal.

Le 18 juillet 2024, un communiqué faisant état des conclusions du rapport de la visite pastorale a révélé des faits reprochés par plusieurs anciens membres de la communauté à l’abbé Guérin. Nous entendons avec douleur la souffrance que certains ont pu exprimer auprès des visiteurs et allons effectuer courageusement ce travail de relecture qui permettra de faire évoluer cette page. Afin de recueillir la parole des personnes qui souhaiteraient se manifester, vous pouvez contacter, au nom de Mgr Matthieu Dupont qui a été nommé assistant apostolique de la communauté, la Cellule d’écoute des diocèses des Pays-de-Loire à l’adresse suivante : paroledevictimespaysdeloire@gmail.com

Biographie

Don Paul Préaux

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Don Paul Préaux, né le 6 octobre 1964 à Laval (Mayenne), rentre au séminaire de la Communauté Saint-Martin alors installée à Voltri (diocèse de Gênes, Italie) en 1982. Il est ordonné diacre en avril 1988 à Saint Raphaël (Var) par le cardinal Siri et obtient son baccalauréat de philosophie et de théologie. L’année suivante, le 4 juillet, il est ordonné prêtre à Gênes par le cardinal Canestri.

En 1990, don Paul obtient une licence canonique de théologie dogmatique à Fribourg (Suisse) et devient responsable de la maison de formation de Voltri. Il est envoyé à Rome en 1992 pour l’année d’habilitation au doctorat et commence ensuite sa thèse.

Nommé, en 1995, chapelain au sanctuaire de Notre-Dame de Montligeon (Orne), il devient recteur de ce sanctuaire consacré à la prière pour les défunts, charge qu’il occupera jusqu’à son élection comme Modérateur général de la Communauté Saint-Martin. Pendant cette période, don Paul est également membre du conseil presbytéral du diocèse de Sées pendant six ans et secrétaire du même conseil pendant 3 ans.

Docteur en théologie en 2005, don Paul est l’auteur d’une thèse sur Les fondements ecclésiologiques du Presbytérium selon le concile Vatican II et la théologie post-conciliaire. Enseignant la théologie dogmatique à l’École de théologie de la Communauté, depuis 1993, il intervient également dans différents lieux d’enseignement, comme le Centre d’études théologiques de Caen. Il est également sollicité pour prêcher des retraites et intervenir dans différents diocèses et communautés, notamment des thèmes de la spiritualité sacerdotale et de l’espérance chrétienne, sur lesquels il a publié des ouvrages.  Renvoi à la page de ses publications.

Le 26 avril 2010, don Paul Préaux est élu Modérateur général de la Communauté Saint-Martin et réélu en 2016 à cette charge pour un nouveau mandat de six ans. Il est à nouveau élu à cette charge en 2022 pour un dernier mandat.