La vie de saint Martin : école de Visitation

Saint Martin « visite » le pauvre.

Mes chers frères, je voudrais revenir avec vous ce matin sur les belles heures que nous avons passées ensemble hier auprès de Saint Martin en acte permanent de charité : nous avons vu sa triple charité : le manteau partagé, le vêtement du pauvre de Tours et la paix apporté à ses frères à Candes-Saint-Martin. Il me semble intéressant de relier par ces « trois charités » la ligne de force de la Vita Martini que l’on pourrait définir alors comme une école de la visitation. C’est la visitation de Dieu dans une âme de plus en plus attentive à la Présence divine et, devenant pour cela porteuse de cette Présence, capable de l’extravaser sur tous ceux qui sont en pauvreté. Visitation donc du chrétien à l’indigence physique comme à Amiens ou à Tours, visitation à la carence spirituelle comme à Candes.

1. A Amiens, nous avons face à face le catéchumène encore balbutiant la vie évangélique, et le pauvre qui n’appartient pas à ce monde militaire et ordonné et vient comme le déranger brutalement, interpellant sa générosité. A Tours, nous voyons Martin dans la maturité de sa vie spirituelle. La preuve est là, dans la mise en lumière factuelle certes, mais si forte, du lien entre l’eucharistie et la charité. Martin au sommet de sa vie épiscopale obéit spontanément à l’ordre que Jésus donne au lavement des pieds qui précède et donne sens à la Cène qui suivra : « vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous… Si vous savez cela, heureux êtes-vous, pourvu que vous le mettiez en pratique. »

2. Rien de plus beau ne saurait être trouvé dans la vie de l’Église pour alimenter, développer et recadrer notre vie spirituelle de prêtre et de diacre, tant est évidente ici la liaison intérieure entre le sacrement et sa signification christique, entre le sacrement et son fruit apostolique. Comme le soulignait Bruno dans son homélie, il nous est permis de déceler dans le geste de Martin envers le pauvre de Tours, le Christ en Martin accueillant le Christ en Pauvreté. Non seulement Martin devine Jésus en ce frère blessé dans sa dignité humaine et réponds à son appel au nom du Christ, mais c’est en revêtant lui-même la pauvreté du Christ, en se faisant nu comme le Maître, que Martin pourra enrichir ce minimus. En se dépouillant de sa tunique, Martin s’identifie au Christ dépouillé et crucifié qui offre sa vie pour le monde. J’encourage donc chaque fils de saint Martin à comprendre ainsi l’exhortation que nous donne Jésus de tout faire en son Nom. En particulier cette demande qui nous est si familière : « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, Il vous l’accordera… » Il n’est pas question d’en rester aux vocalises ; il s’agit de se laisser habiter par le Christ, de n’être plus qu’un avec Lui, de Le laisser nous visiter, vivre en nous comme le suggère Paul dans sa formule si bien frappée : « Mihi vivere Christus est ».

La charité de Tours prépare saint Martin à célébrer la messe.

Candes-Saint-Martin : la troisième « Visitation ».

3. La charité de la vieillesse devrait nous interpeller tout spécialement puisqu’elle est tournée non plus vers l’extérieur mais vers les membres de la propre famille sacerdotale. Voici ce qu’en dit Sulpice Sévère : « Martin sut depuis longtemps qu’il allait mourir… Auparavant il dut aller visiter la paroisse de Candes car les clercs de cette Église étaient divisés et il désirait y rétablir la paix…Il n’ignorait pas qu’il était à la fin de sa vie, mais ce motif ne l’empêcha pas de partir car il estimait que ses vertus atteindraient leur accomplissement s’il pouvait rendre la paix à cette Église. » Si nous avons pu relever dans la charité de Tours l’équivalence explicite entre lavement des pieds et eucharistie, nous pouvons détecter dans cette charité de Candes le fruit évangélique de la vie eucharistique de Martin. Alors qu’à Tours, comme un lavement des pieds, la charité le prépare à la célébration eucharistique, ici c’est l’assimilation réelle et totale de Martin au Christ qui « le pousse » à aller porter la paix à ses disciples. A la manière de Jésus ressuscité se présentant aux siens pour leur dire : « la Paix soit avec vous ». Comme le rappelait D. Paul hier soir, lorsqu’on partage avec le Christ, c’est non seulement la mort mais la gloire : « si nous mourrons avec Lui, avec Li nous règnerons ! » Les murs que Jésus traversa sont, ici pour Martin, les usures du temps, de l’âge et de l’épuisement. Ne calculant ni ne gardant rien pour lui, il se dépense sans compter pour les siens selon la belle formule de Paul « impendar et surimpendar ». C’est pour nous une véritable stimulation à faire de la charité fraternelle l’achèvement de notre consécration. D’ailleurs, l’incitation de Jésus à prier en son Nom citée plus haut (« tout ce que vous demanderez au Père en mon nom… ») ne se poursuit-elle pas par : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres » ? Comme pour nous rappeler que rien n’importe plus au Père que la charité fraternelle qui est en même temps : acte de foi au Père que l’on prie, dévotion au Christ que l’on reçoit, acte missionnaire posé dans l’Esprit que l’on désire donner

Ces trois leçons de visitation caritative n’en font qu’une et c’est ce qu’il est important de retenir. La vie spirituelle de Martin a mûri dans l’évangile et selon la loi même de l’évangile, dans le temps et la discrétion de Dieu. La première charité, de la foi, est liée à la conversion du baptême. Elle est elle même levier pour s’élancer vers l’eucharistie qui bouleverse complètement la vie en la rendant relative à la charité. Cette 2ème charité, sommet et plénitude de l’amour, permet ensuite à Martin de redescendre sur le frère, autre expression de la même plénitude, mais teintée d’une couleur plus vive, tant il est vrai qu’il est toujours plus difficile d’aimer Dieu à travers son frère que l’on espère, que directement dans l’union mystique. Espérer son frère, c’est désirer son grandissement spirituel, son accomplissement dans la grâce, sa plénitude de sainteté… C’est espérer tout pour lui alors que notre habitude est d’espérer tout de lui ! Ce retournement en bienveillance, seule l’eucharistie peut la réaliser en nous. En fait, après être touché sensiblement par les pauvretés visibles, l’on entre ensuite dans la maturité par la contemplation eucharistique du mystère de substitution vicaire de Jésus. Enfin, entrant dans la plénitude de la vie sacerdotale, nous ne revêtons pas seulement le Christ dans sa mission médiatrice, mais nous nous abandonnons à Lui pour qu’à travers nous Il rejoigne nos frères. C’est la coïncidence progressive de la sainteté subjective de notre être chrétien à la sainteté objective de notre sacerdoce.

Cette dernière étape, jamais franchie totalement et toujours en puissance dans nos vies de prêtres et de diacres, elle nécessite un combat spirituel jusqu’à la mort. Mort physique quelques fois, comme pour Martin qui « se vide de lui-même » à l’exemple du Christ chanté dans l’hymne aux Philippiens. Mort spirituelle à nous-mêmes en tous les cas. J’aimerai d’ailleurs, pour conclure, vous citer les dernières paroles de Martin qui montrent la violence du combat mené, militairement, jusqu’au bout, à l’exemple de Saint Paul : « C’est un lourd combat que nous menons, Seigneur… En voilà assez des batailles que j’ai livrées jusqu’à ce jour. Mais si tu m’enjoins de rester en faction devant ton camp pour continuer, je ne me dérobe pas… Tant que tu m’en donneras l’ordre, je servirai sous tes enseignes. Mon courage demeure victorieux des années et ne sait point céder à la vieillesse. »

Demandons au Seigneur, par l’intermédiaire de Saint Martin que nos communautés soient toujours belles et pour cela terribilis ut castrorum acies ordinata comme le chante l’Office de la Vierge Marie. A Notre Dame en effet, l’Église attribue ce courage, cette force, n’hésitons pas à le dire cette virilité qui la place en droite ligne d’Abraham et qui fait de la Mère de Dieu l’accomplissement du Père des croyants…

Don Jean-Marie LE GALL

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Biographie

Jean-François Guérin

Jean-François Guérin naquit à Loches au cœur de la Touraine le 25 juillet 1929 d’Albert Guérin et de Camille Linard, charcutiers dans cette ville ; il fut baptisé le 9 mars 1930 dans la collégiale Saint-Ours sous le prénom de Jean. Ses deux parents sont originaires d’Artannes-sur-Indre où il suivit sa première scolarité, dans une famille qui n’était pas particulièrement marquée par la foi.

Installé chez sa mère à Paris, il s’ouvrit de sa vocation à un prêtre de Versailles. C’est pourquoi, contre l’avis de sa famille, il entra au séminaire de Versailles, en 1949, à vingt ans. Les premières années de sa formation furant vraiment fondatrices pour lui, marquées par la forte spiritualité sacerdotale enseignée par les formateurs sulpiciens. Ces années furent coupées par son temps de service militaire en Tunisie et marquées par le décès de son père. Premier tournant dans son itinéraire : il décida de quitter Versailles pour revenir à Tours, puis il intégra le Séminaire français de Rome et, le 29 juin 1955, il fut ordonné prêtre en la cathédrale Saint-Gatien par Mgr Gaillard.

D’abord vicaire à la cathédrale de Tours, il fut nommé aumônier des lycées Descartes, Balzac et Grandmont à Tours où sa santé souffre un peu de l’intensité de son engagement auprès des jeunes. Souvent il les emmena à Fontgombault, une abbaye bénédictine qui eut une importance centrale dans sa vie et son sacerdoce : il en devint oblat en 1961. Quittant Tours, il fut envoyé à Paris pour des études de droit canonique, qu’il commença en 1965.  Pendant ces études, il était aussi confesseur à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, où il fut inspiré par les intuitions ecclésiales et missionnaires de Monseigneur Charles, recteur de la Basilique, avec lequel se créa une amitié. Les études terminées, il devint délégué général de l’Œuvre d’Orient en 1968 et garda cette charge, qui consistait à recueillir des fonds pour aider les écoles, dispensaires et œuvres caritatives dans les paroisses de toute la France, jusqu’en 1975.

À Paris, son ministère se déployait entre l’œuvre d’Orient, la mission de chapelain au Sacré Cœur et un ministère qui se dessina peu à peu auprès d’étudiants, hommes et femmes, qui le rejoignirent bientôt pour une heure d’adoration silencieuse mensuelle, à Montmartre. De ce silence, naquit l’idée d’une messe hebdomadaire en 1968. Elle est célébrée à la chapelle du Bon Secours, rue Notre-Dame-des-Champs, chapelle toute proche des bureaux de l’Œuvre d’Orient. L’abbé Guérin entendait donner à ces jeunes gens une solide formation centrée sur la vie intérieure, la vie sacramentelle, sur le discernement des vocations, mariage, sacerdoce, vie religieuse. Son action apostolique auprès de ce groupe comprendra aussi des camps – un mélange entre retraite et vacances, ce qui donna naissance aux futurs « Routes Saint-Martin ». Mais dans le temps de la réforme liturgique, il leur transmit aussi sa docilité envers les décisions du Concile et du Pape, face à certains qui ne veulent rien entendre sur le nouveau missel promulgué par le Pape Paul VI.

Proche des moines bénédictins de Fontgombault et des Sœurs Servantes des Pauvres, l’abbé Guérin accompagna des jeunes vers des vocations religieuses, contemplatives et apostoliques. Mais, plusieurs jeunes gens lui partagèrent leur désir de devenir prêtres diocésains. En février 1976, le cardinal Siri, archevêque de Gênes et Dom Jean Roy, Père Abbé de Fontgombault, se rencontrèrent à Rome où ce dernier demanda au cardinal s’il est possible d’accueillir des amis français à Gênes. L’accord fut immédiat : les études au séminaire seraient gratuites et un couvent capucin situé à dix-sept kilomètres du centre-ville serait mis à leur disposition. C’est alors que le 1er novembre 1976, commença la Communauté Saint-Martin par un cours intensif en italien ; suivirent les travaux à entreprendre au couvent de Voltri qui est en très mauvais état. Les années italiennes furent celles de la fondation, avec l’appui constant du cardinal Giuseppe Siri, qui, à sa démission, nomma l’abbé Guérin chanoine d’honneur de sa cathédrale.

L’année 1993 fut celui du retour en France, pour les membres de la Communauté. Aidé par les premiers membres, l’abbé Guérin guida cette installation à Candé-sur-Beuvron, dans le diocèse de Blois. Ce furent des années plus difficiles, marquées par différents problèmes de santé. L’abbé Guérin fut de plus en plus secondé. En février 2004, il présenta sa démission. Demeuré à Candé, il fut rappelé à Dieu le 21 mai 2005. Après ses obsèques à la cathédrale Saint-Louis de Blois, il fut inhumé au cimetière d’Artannes-sur-Indre, son village natal.

Le 18 juillet 2024, un communiqué faisant état des conclusions du rapport de la visite pastorale a révélé des faits reprochés par plusieurs anciens membres de la communauté à l’abbé Guérin. Nous entendons avec douleur la souffrance que certains ont pu exprimer auprès des visiteurs et allons effectuer courageusement ce travail de relecture qui permettra de faire évoluer cette page. Afin de recueillir la parole des personnes qui souhaiteraient se manifester, vous pouvez contacter, au nom de Mgr Matthieu Dupont qui a été nommé assistant apostolique de la communauté, la Cellule d’écoute des diocèses des Pays-de-Loire à l’adresse suivante : paroledevictimespaysdeloire@gmail.com

Biographie

Don Paul Préaux

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Don Paul Préaux, né le 6 octobre 1964 à Laval (Mayenne), rentre au séminaire de la Communauté Saint-Martin alors installée à Voltri (diocèse de Gênes, Italie) en 1982. Il est ordonné diacre en avril 1988 à Saint Raphaël (Var) par le cardinal Siri et obtient son baccalauréat de philosophie et de théologie. L’année suivante, le 4 juillet, il est ordonné prêtre à Gênes par le cardinal Canestri.

En 1990, don Paul obtient une licence canonique de théologie dogmatique à Fribourg (Suisse) et devient responsable de la maison de formation de Voltri. Il est envoyé à Rome en 1992 pour l’année d’habilitation au doctorat et commence ensuite sa thèse.

Nommé, en 1995, chapelain au sanctuaire de Notre-Dame de Montligeon (Orne), il devient recteur de ce sanctuaire consacré à la prière pour les défunts, charge qu’il occupera jusqu’à son élection comme Modérateur général de la Communauté Saint-Martin. Pendant cette période, don Paul est également membre du conseil presbytéral du diocèse de Sées pendant six ans et secrétaire du même conseil pendant 3 ans.

Docteur en théologie en 2005, don Paul est l’auteur d’une thèse sur Les fondements ecclésiologiques du Presbytérium selon le concile Vatican II et la théologie post-conciliaire. Enseignant la théologie dogmatique à l’École de théologie de la Communauté, depuis 1993, il intervient également dans différents lieux d’enseignement, comme le Centre d’études théologiques de Caen. Il est également sollicité pour prêcher des retraites et intervenir dans différents diocèses et communautés, notamment des thèmes de la spiritualité sacerdotale et de l’espérance chrétienne, sur lesquels il a publié des ouvrages.  Renvoi à la page de ses publications.

Le 26 avril 2010, don Paul Préaux est élu Modérateur général de la Communauté Saint-Martin et réélu en 2016 à cette charge pour un nouveau mandat de six ans. Il est à nouveau élu à cette charge en 2022 pour un dernier mandat.