« Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie, au sujet de la nourriture, ou des vêtements. Cherchez d’abord le Royaume et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît. » (Mt 6, 25.34) Est-ce contraire à l’esprit chrétien de se faire du souci pour l’avenir ? Jésus nous invite-il à un « devoir d’imprévoyance » ?
En réalité, ce que le Christ condamne, c’est le fait de placer sa sécurité d’abord dans la possession de biens matériels. Ne nous faisons pas de trésors sur la terre, là où les mites et la rouille les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler (cf. Mt 5, 19). De même, lorsqu’il dit : « Quand on vous livrera, ne vous tourmentez pas pour savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là » (Mt 10, 19) : Jésus nous invite à placer notre confiance en Dieu plutôt qu’en notre propre habileté.
Faut-il alors renoncer à préparer le futur, à anticiper l’avenir ? Évidemment non : comment prêcher cela à celui qui cherche désespérément un travail pour nourrir sa famille ? Faire confiance à la Providence, ce n’est pas se laisser porter sans rien faire, se déresponsabiliser ; mais c’est ordonner (c’est-à-dire remettre dans l’ordre) notre vie en fonction de l’essentiel. C’est chercher d’abord le Royaume des cieux, en sachant que cette recherche passe aussi par l’utilisation des dons reçus, en particulier notre intelligence. L’exemple du Christ nous montre que les deux attitudes de prévoyance et de confiance en la Providence ne s’opposent qu’en apparence. En formant ses apôtres pendant trois années, Jésus vit au quotidien de la Providence, mais il anticipe déjà son départ et leur mission future jusqu’aux extrémités de la terre !
Plus concrètement, comment vivre cette tension entre les deux attitudes ? « Les hommes d’armes batailleront, et Dieu donnera la victoire » affirmait sainte Jeanne d’Arc à Poitiers. Attendre les bras croisés que la Providence dénoue tous nos problèmes, ce n’est pas faire confiance à Dieu, c’est refuser de coopérer à sa grâce. Inversement, croire que notre action se suffit à elle-même témoigne d’un grand mépris de Dieu, qui conduit inévitablement à l’échec. Il faut donc agir autant que nous le pouvons, tout en comptant totalement sur Dieu sans qui nos actes demeurent inutiles : « Prier comme si tout dépendait de Dieu, agir comme si tout dépendait de nous » (maxime attribuée à saint Ignace). Une fois cela accompli, il « suffit » de rester docile à l’action de l’Esprit-Saint, qui d’une motion peut nous amener à abandonner tout ce que nous avions prévu, pour nous laisser conduire par la seule force divine.