On entend parfois dire qu’on reconnaît un prêtre ou un diacre de la Communauté non seulement à sa manière de célébrer la messe, mais aussi à sa façon de prêcher. Encore faut-il espérer que ce soit pour les bonnes raisons ! Il y a sans doute un style martinien qui n’est pas étranger à une formation et une vie communes. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes des clones : sur ce point, les fidèles ne se font guère d’illusion, eux qui nous entendent, tant les différences paraissent flagrantes. D’autant plus que l’essentiel de l’homélie ne réside pas dans le prédicateur, mais bien dans la Parole de Dieu prêchée. Sa personnalité, ses talents, son savoir, n’ont de valeur qu’au service de la proclamation de l’Évangile qui est un acte essentiel dans la vie de l’Église. Au point que même les prédicateurs moins brillants peuvent toucher les cœurs. Le curé d’Ars en est la preuve ! Comme le rappelait Joseph Ratzinger, « ce qui est important, ce n’est pas l’originalité, mais l’humble service ». Celui qui se met au centre et qui brille fait de l’ombre à la Parole.
La prédication doit puiser sa source dans la Sainte Écriture et la liturgie afin de devenir un moment privilégié pour expliquer les mystères de la foi et guider les fidèles dans leur vie chrétienne. Plutôt que de se creuser la tête vainement, celui qui prêche doit se demander quelle est la Parole de Salut que Dieu veut dire aujourd’hui à son peuple. En effet, la prédication a quelque chose de sacramentel dans le sens où elle rend présente la Parole de Dieu, permettant aux fidèles de communier avec le Christ à travers des paroles humaines. Benoît XVI explique que « le Christ, réellement présent dans les espèces du pain et du vin, est présent analogiquement dans la Parole proclamée dans la liturgie ». Il insiste sur le fait que « montrer le Christ » doit être au cœur de toute homélie. Il s’agit de permettre aux fidèles de découvrir la présence et l’efficacité de la Parole de Dieu dans leur vie quotidienne (Exhortation apostolique Verbum Domini).
À Évron, les séminaristes s’exercent à la prédication à travers divers exercices, comme les sermons de Carême au réfectoire et de petites homélies lors des vêpres du dimanche soir. Ces exercices mémorables sont essentiels pour les mettre en situation et développer leur capacité à toucher les cœurs des fidèles. Ce n’est pas si facile de prendre la parole devant ses pairs ! Les retours bienveillants des formateurs et des frères ont pour but d’améliorer les compétences en prédication. Même si, nous le savons, la prédication dépasse le simple exercice académique. Comme l’explique Benoît-Dominique de La Soujeole, « la parole prêchée échappe pour une part à la saisie intelligente et volontaire du ministre ; elle se révèle plus riche de sens et plus efficace qu’une simple parole humaine ». Elle a en effet pour but la conversion des auditeurs. Elle réclame donc un engagement dans la foi, et une charité envers les fidèles qui dépassent largement le seul art oratoire. Le pape François décrit l’homélie comme un dialogue entre Dieu et son peuple, où le prédicateur doit discerner le cœur de sa communauté et répondre à ses besoins spirituels (Exhortation apostolique Evangelii Gaudium).
Il s’agit donc avant tout de former des cœurs de pasteur, plus que des orateurs. Les séminaristes apprennent en écoutant et en observant des ministres ordonnés plus expérimentés. Ils se forment aussi par le chant, le théâtre et l’aide de ceux dont le métier, la mission et l’art est de « saisir du ciel de l’esprit ses trésors et de les revêtir de mots, de couleurs, de formes, d’accessibilité […] Car, comme vous le savez, notre ministère consiste à prêcher et à rendre accessible et compréhensible, voire émouvant, le monde de l’Esprit » (Pape saint Paul VI). La prédication doit répondre aux doutes et aux questions de notre époque déchristianisée et ignorante. Les futurs prédicateurs devront traduire les vérités de la foi dans un langage compréhensible aux catéchumènes, aux néophytes et aux recommençants. Timothy Radcliffe souligne que « le défi, quand nous prêchons, n’est pas juste de dire quelque chose de bon et de vrai. Il nous faut deviner ce qu’il y a à dire à ces gens, aujourd’hui ».
La formation à la prédication est un pilier essentiel de la vie sacerdotale. C’est aujourd’hui que se prépare le prédicateur de demain : l’homme par la lecture et l’ouverture au monde, le chrétien par la méditation priante de la Parole de Dieu, le prêtre par la charité pastorale. Quant aux fidèles, plutôt que subir en maugréant ou s’extasier démesurément, qu’ils prient pour les prédicateurs en réclamant la docilité à l’Esprit Saint afin que la Parole de Dieu poursuive sa course dans le monde.