Le temps de l’ordinaire. L’usage français a traduit par « temps ordinaire » ce que le missel romain instauré après Vatican II désigne comme « temps per annum » (« au long de l’année ») en remplacement de l’expression ancienne, cependant moins descriptive, de « temps après la Pentecôte ». À quelques-uns cette traduction a semblé par trop… ordinaire ! Pourtant, n’est-il pas vrai qu’aucun mystère particulier de la vie du Seigneur n’y est célébré ? Ce temps qui s’étire sur trente-quatre semaines est vraiment ordinaire, mais de cet ordinaire prodigieux qu’est la vie surnaturelle de l’Église, car « durant ces semaines où n’est célébré aucun aspect particulier du mystère du Christ, c’est plutôt le Mystère même du Christ qui est rappelé en sa plénitude, et surtout le Jour du Seigneur. » (Missel romain) Voici donc ce qui nous est proposé au long du temps per annum : vivre comme extraordinaires, dans l’économie surnaturelle de la grâce, les choses ordinaires de notre temps. Vivre de l’ordinaire.
Le chrétien qui vit selon l’esprit de la liturgie s’extasie chaque année devant la pédagogie que déploie la célébration des mystères de Noël et de Pâques : leur préparation attentive par l’Avent et le Carême, la cohérence des chants et des lectures, la coïncidence des mystères avec le rythme cosmique de la création qui s’éveille… C’est en vain qu’il chercherait entre les dimanches du temps ordinaire une telle harmonie. Le liturgiste P. Parsch, après avoir rappelé l’antiquité des chants et des prières des dimanches après la Pentecôte, et aussi leur peu d’unité, explique que l’Église ancienne « voulait seulement donner à ses fidèles de petites fêtes de Pâques et des jours de parousie ». Voilà les deux sentiments que vont nous inculquer ces dimanches per annum : le sens pascal et le sens eschatologique (« parousie » désigne le retour glorieux du Christ au dernier jour) . À quoi l’on devra ajouter… le goût pour l’ordinaire.
Le temps per annum est le temps de l’Église en chemin vers l’accomplissement du Royaume. La liturgie dominicale nous invite, en particulier dans ses trois oraisons, à attendre avec vigilance le retour du Seigneur. C’est ainsi le temps de l’espérance (d’où la couleur verte propre au temps ordinaire) qui nous soutient dans notre condition d’exilés sur la terre en nous représentant les biens éternels et en nous invitant à ne pas nous attacher trop à ceux de la terre. Elle nous pousse ainsi à rechercher, mais aussi à annoncer avec ardeur le Royaume de Dieu, présent déjà dans l’obscurité du mystère.
Dans le mot « ordinaire », enfin, se trouve l’idée d’ordre, c’est-à-dire de conformité à la volonté de Dieu à notre égard, volonté qu’il nous signifie à travers l’ordre des jours et des événements conduits par sa Providence. Le temps ordinaire nous enseigne comment on doit suivre le Christ : en recherchant ordinairement la volonté de son Père et en entrant avec lui dans le combat spirituel. Le temps ordinaire nous apprend à faire extraordinairement les choses les plus ordinaires, suivant la maxime de saint François de Sales : « Dieu veut que nous fassions les petites choses
avec un grand amour. » Si, comme Pascal l’écrit magnifiquement dans les Pensées, nous nous employons chaque jour à « faire les petites choses comme grandes, à cause de la majesté
de Jésus-Christ qui les a faites en nous et qui vit en notre vie, et les grandes comme petites et aisées, à cause de sa toute-puissance », pourrons-nous encore mésestimer le temps ordinaire ?